Les domaines de la description grammaticale



Tout énoncé opère une association entre une suite de sons et une interprétation. Ce couplage est pourtant loin d’être direct, parce qu’entre ces deux niveaux extrêmes d’organisation s’étagent des niveaux intermédiaires. Chacun de ces niveaux se définit par la spécificité de ses unités et de leurs règles de combinaison, mais aussi par le type de rapport qu’il entretient avec les autres niveaux. La structure générale des énoncés apparaît d’emblée régie par un principe propre au langage humain, la double articulation (1.2.1), qui les organise en deux niveaux successifs. Mais au niveau même de la première articulation, les formes de l’expression (morphèmes, mots et constructions syntaxiques) et les configurations de leur contenu (sens grammatical et communicant) s’étagent encore sur au moins quatre niveaux dont chacun doit être pris en charge par une composante spécifique de la grammaire.

3.5.1. La composante phonologique

Qui ne sait qu’en français le [r] se prononce de deux, voire trois manières différentes : roulé, grasseyé et standard ? Qui ne croit pouvoir énumérer les voyelles françaises ou articuler un mot en syllabes ? Vraies ou fausses, ces certitudes concernent les domaines de la phonétique et de la phonologie, qui décrivent la matière et la forme sonores des signifiants.

En effet tout énoncé oral se présente comme une séquence plus ou moins continue que l’on peut segmenter en unités minimales ou sons. La phonétique (du grec phonê : son, voix) détermine les caractéristiques physiques et physiologiques des sons (II : 1.1 et 2.3) En d’autres termes, elle décrit comment ils sont produits(phonétique articulatoire), transmis(phonétique acoustique) et perçus(phonétique auditive). Quel que soit le mode de caractérisation retenu, la description phonétique des sons se veut indépendante de leur fonction linguistique.

La phonologie (II : 1.2) décrit également les sons ; mais comme leur fonction proprement linguistique est de s’opposer entre eux pour former des mots différents, elle ne retient que les caractéristiques qui les opposent effectivement les uns aux autres. Une fois inventoriés, les 36 phonèmes du français peuvent être classés selon :

► leurs propriétés internes. Chacun est alors défini par un faisceau de traits distinctifs ou caractéristiques articulatoires minimales distinguant un phonème d’un autre (11 : 2.2).

► leur distribution, c’est-à-dire leurs propriétés combinatoires en tant qu’éléments constitutifs des mots. Contrairement au polonais, où les noms propres Sypnicki et Kasprzak se prononcent /sipnitski/ et /kaspGak/, les séquences */t/ + /s/ + /k/ et */s/ + /p/ + /G/ sont phonologiquement mal formées en français. En revanche, les combinaisons /s/ + /k/ + /r/ (scruter, escroc) et /p/ + /s/ + /t/ +/r/ (obstruer, abstrait) sont possibles, bien que la majorité de ceux qui les prononcent quotidiennement n’en soient pas conscients.

Les regroupements phonémiques s’effectuent à l’intérieur de l’unité d’émission qu’est la syllabe (II : 3.1). Mais la chaîne parlée présente aussi des caractéristiques (dites suprasegmentales ou prosodiques) qui dépassent la dimension du phonème et souvent de la syllabe, mais apportent une contribution essentielle à la structure orale des énoncés français et à leur interprétation.

L’accentuation (II : 3.3) met en valeur des syllabes parmi d’autres à des fins démarcatives, rythmiques ou affectives. L’intonation (II : 3.5) surimpose aux structures phrastiques des profils mélodiques qui servent surtout à opposer différents types de phrases, mais peuvent aussi, à l’intérieur de la phrase, marquer par un décrochage de hauteur les contours d’une apposition. Ces deux paramètres interprétatifs sont généralement renforcés par les phénomènes secondaires de la pause (II : 3.4) et de la jointure (II : 3.2).

3.5.2. La composante morphologique

Le féminin de l’adjectif franc est franche, le pluriel du nom cheval est chevaux et la forme verbale repassait s’analyse en un radical (pass-) précédé d’un préfixe (re-) et suivi d’une désinence (-ait) : ces observations élémentaires relèvent de la morphologie (du grec morphê : aspect, forme), traditionnellement définie comme l’étude de la forme des mots. Cette composante étend aujourd’hui son domaine à tout ce qui relève de la structure interne des mots. On distingue, d’une part, la morphologie lexicale (XVII : 3) qui décrit les mécanismes, notamment de dérivation et de composition, qui président à la formation des mots ; de l’autre, la morphologie flexionnelle ou grammaticale (XVII : 2) qui traite des variations de la forme des mots selon les catégories du nombre, du genre, de la personne, etc. Dans la mesure où ils sont fortement tributaires de la syntaxe, la plupart de ces phénomènes relèvent d’une composante mixte, la morphosyntaxe, qui traite leurs variations formelles dans des cadres syntaxiques tels que l’accord ou l’allomorphie fonctionnelle.

Les deux types de morphologie impliquent l’existence d’une unité minimale constitutive du niveau morphologique : le morphème (XVII : 1.2), qui se manifeste souvent sous la forme de segments inférieurs à la dimension du mot (radicaux, préfixes, suffixes, désinences).

3.5.3. La composante syntaxique

Traditionnellement, la syntaxe (du grec syntaxis : mise en ordre, disposition, assemblage) décrit la façon dont les mots se combinent pour former des groupes de mots et des phrases. En français, l’existence d’une dimension syntaxique est d’emblée confirmée par le caractère non arbitraire del’ordre des mots. La combinatoire proprement syntaxique, loin de se réduire au seul ordre linéaire des mots, détermine leur regroupement en syntagmes qui fonctionnent comme des unités intermédiaires entre le niveau des mots et celui de la phrase (V : 2.2.1). Car c’est la phrase qui constitue le cadre naturel de ces regroupements dans la mesure même où elle représente le niveau supérieur de l’organisation hiérarchique des énoncés, un niveau au-delà duquel il n’y a plus de regroupements syntaxiques. Aussi la première tâche de la syntaxe consiste-t-elle à mettre en évidence les principes selon lesquels les expressions complexes (phrases et syntagmes) se décomposent récursivement en éléments plus simples : c’est ce que systématise la procédure d’analyse dite « analyse en constituants immédiats » (V : 2.2.2).

Comme les éléments constitutifs de la phrase et les façons dont ils se combinent ne sont pas donnés à l’avance, leur identification suppose des procédures de segmentation et de classification. Il s’agit d’abord de reconnaître des segments identiques qui réapparaissent dans des combinaisons toujours renouvelées mais néanmoins gouvernées par des règles. Dans cette perspective, la description syntaxique établit les classes d’unités simples (les parties du discours, V : 23) et complexes (les syntagmes : V : 2.2.1) d’une langue ainsi que les règles qui président à leurs combinaisons (V : 2.2.4 al 2.2.5). En d’autres termes la structure syntaxique des phrases peut être représentée comme une configuration de segments identifiés par leur nature (le segment x appartient à la classe X) et par leur fonction (le segment x est en relation avec le segment y dans la construction d’ensemble z). Si néanmoins les descriptions syntaxiques divergent, c’est parce qu’elles ne retiennent pas nécessairement les mêmes critères pour définir ces deux notions fondamentales (V : 1.3 et 2.3.1).

L’analyse syntaxique ne se réduit pas pour autant aux seules procédures de « démontage » des phrases. Elle s’étend également aux rapports non contingents entre les constructions.

► Lorsqu’un type de construction bien déterminé implique l’existence d’un ou de plusieurs autres types de constructions, ce fait peut être décrit sous la forme d’un ensemble de correspondances systématiques entre les structures syntaxiques de ces constructions.

Ainsi une phrase passive (p. ex. L’épave de l’avion a été examinée par une commission d’enquête) est généralement mise en rapport avec la phrase active correspondante (Une commission d’enquête a examiné l’épave de l’avion) au moyen d’un ensemble d’opérations convertissant une structure de départ en une structure d’arrivée (XI : 7.1).

Le même traitement s’applique aux différents types (XI : 1) d’une même phrase (Son amie a écrit cette lettre « Son amie n a pas écrit cette lettre « C’est son amie qui a écrit cette lettre « Son amie a-t-elle écrit cette lettre ? « Qui a écrit cette lettre ? etc.), aux pronominalisations (Jean a confié ses impressions aux journalistes ® Il les leur a confiées), aux nominalisations (Pierre est fier ® la fierté de Pierre), etc.

► Il arrive aussi qu’une construction se décrive avantageusement à partir d’une structure de départ hypothétique, pas nécessairement réalisée telle quelle, mais retenue pour ses vertus explicatives (elle fait apparaître des éléments et des relations qui ne sont pas directement observables dans la forme de la construction étudiée).

On supposera, par exemple, à la phrase : (2) Jean désirait prendre des vacances une source (ou structure profonde dans les grammaires transformationnelles) comportant une subordonnée complétive dont le sujet est coréférentiel à celui de la principale : (2a). *Jean désirait qu’il [=lui-même] prenne des vacances. Cette hypothèse permet d’abord de justifier l’interprétation du sujet non exprimé de (2). Elle explique aussi la possibilité d’une coordination de la construction infinitive avec une subordonnée complétive non réduite dont elle partage le statut syntaxique : Jean désirait prendre des vacances, mais que sa femme reste à la maison. Elle oblige parallèlement à postuler pour (2) une règle d’effacement (ou de non réalisation) du sujet de la complétive lorsqu’il est coréférentiel au sujet du verbe de la principale. Du coup s’expliquent :

• l’agrammaticalité de (2a). et de (2b). *Je désire que je prenne des vacances.

• l’accord de l’attribut de l’infinitif avec son sujet effacé, mais néanmoins interprété comme coréférent au sujet du verbe principal : Il désire être heureux / *heureuse - Elle désire être heureuse / *heureux.

• les contraintes de coréférence sur la forme réfléchie des verbes essentiellement pronominaux à l’infinitif et sur les formes réfléchies disjointes: Il désire s’enfuir / *t’enfùir / *les enfuir - Elle veut tout faire elle-même / *lui-même / *vous-mêmes.

Bibliographie. — A. Daladier, Quelques hypothèses « explicatives » chez Harris et chez Chomsky, Langue française, 1980, 46, p. 58–72. – A. Delaveau, F. Kerleroux, 1985, p. 5-14 – C. Fuchs, P. Le Goffic, Initiation aux problèmes des linguistiques contemporaines. Hachette, 1975, p. 29–34, 64–70 et 82–8 – Langue française, 1, La syntaxe, 1969 - L. Picabia, Deux analyses transformationnelles des pronoms français. La transformation comme principe explicatif. Langue française, 46, 1980, p. 41–57 – A. Zribi-Hertz, La démarche explicative en grammaire générative : autour du concept de transformation, Langue française, 46. 1980, p. 8–31.

3.5.4. La composante sémantique

La sémantique (du grec sèmantikos, dérivé adjectival de sèmainein : signifier) a pour objet l’étude du sens véhiculé par les formes linguistiques. Elle décrit la partie de notre compétence qui nous permet d’interpréter les énoncés, d’évaluer leur bonne formation au regard du sens et de reconnaître intuitivement des relations de sens tels que la synonymie et la paraphrase (XVIII : 2.3), l’implication (« Si quelque chose est une tulipe, alors c’est une fleur »), l’incompatibilité (« Si c’est une tulipe, ça ne peut pas être une rose, et réciproquement »), etc.

La sémantique lexicale (XVIII) se fonde sur ces intuitions pour construire des représentations théoriques du sens des morphèmes lexicaux. A partir de leurs rapports paradigmatiques (1.2.3) et pour rendre compte de la compatibilité sémantique des unités de la phrase entre elles, on assigne généralement aux noms des traits sémantiques inhérents (+ / - animé, + / - humain, etc.) et aux verbes et adjectifs des traits dits de sélection contextuelle (v : 2.3.2) spécifiant les contraintes combinatoires qu’ils exercent sur leur entourage nominal. Ces descriptions sont vérifiées par la pratique lexicographique qui associe aux unités lexicales des paraphrases défînitoires fondées sur des équivalences sémantiques paradigmatiques (Un oculiste, c’est un médecin spécialiste des y eux).

L’étude du sens des morphèmes grammaticaux (XVII : 2.1) relève davantage de ce qu’il conviendrait d’appeler la sémantique grammaticale ou phrastique (XVIII : 3.1).Cette dernière décrit, d’une part, ce qu’on appelle les valeurs des catégories flexionnelles de la personne, du nombre, du temps, du mode et de la voix ; d’autre part, la signification des relations syntaxiques entre les constituants de la phrase, qu’elles soient ou non marquées par un mot fonctionnel (préposition ou conjonction). Au total, l’interprétation sémantique d’une phrase peut être décrite sous la forme d’un ensemble d’instructions (XVIII : 3.3) permettant à l’allocutaire de construire une représentation sémantique à partir de ses connaissances grammaticales et lexicales.

3.5.5. La composante pragmatique

La pragmatique (du grec pragma : action), ou pragmalinguistique pour la distinguer d’autres formes de pragmatiques (p. ex. philosophique, logique ou sociologique), constitue le domaine le plus récent de la recherche linguistique. Sous ce terme se regroupent depuis le début des années 70 un ensemble de travaux qui envisagent les énoncés linguistiques comme des outils d’interaction communicative et décrivent les conditions effectives de leur emploi. En dépit de leur diversité, ces approches reposent sur la même hypothèse fondatrice. Elles postulent en effet que l’activité langagière est une pratique intersubjective, finalisée et réglée par des principes d’efficacité et de bonne conduite communicative. On peut en effet imaginer un locuteur produisant des phrases en tout point conformes aux règles de bonne formation phonologique, morphologique, syntaxique et sémantique du fiançais, mais communicativement incongrues et inefficaces (voir l’exemple (l) ci-dessous). Un tel locuteur serait tout simplement dépourvu de la compétence communicative du locuteur ordinaire.

Il n’est pas étonnant que la dimension proprement pragmatique du langage nous soit directement révélée par des phénomènes dont l’explication ne se situe à aucun des autres niveaux d’analyse traditionnels. C’est le cas, par exemple de la déviance de la phrase (l) comparée à (2) :

(1) *Louis XIV est mort en 1715. mais je ne le sais pas.

(2) Louis XIV est mort en 1715. mais Paul ne le sait pas.

Formellement, les deux phrases s’analysent comme la coordination de deux phrases assertives dont chacune est morphologiquement et syntaxiquement bien formée. Sémantiquement, elles s’interprètent comme la conjonction de deux propositions (au sens logique du terme) qui décrivent chacune un état des choses : le décès de Louis XIV à une certaine date et l’ignorance de ce fait historique par un certain individu. Pourtant, (l) est communicativement incongrue : l’énoncer serait contrevenir à un principe implicite qui régit toute conversation « sérieuse » : lorsqu’on affirme quelque chose, on se présente simultanément comme garant de sa vérité. Faute d’un tel principe (la maxime de qualité de H.P. Grice [l975] ou, plus simplement, la norme de sincérité), toute communication effective serait abolie, puisque l’interlocuteur ne saurait jamais comment « prendre » les énoncé des autres.

Bibliographie. — J.-C. Anscombre, O. Ducrot, 1983 – M. Bakhtine, Le marxisme et la philosophie du langage, 1929, Ed. de Minuit (1977) – H.P. Grice, 1975 – O. Ben Taleb, 1984 – G.H. Halliday, Language Structure and Language Function, New Horizons in Linguistics. J. Lyons, éd., Londres, Pen-guin, 1970, p. 140–165 – C. Kerbrat-Orecchioni, 1986 – G. Kleiber, Les différentes conceptions de la pragmatique ou pragmatique, où es-tu?. L’information grammaticale, 1982, 12, p. 3–8 - Langue française, 42, La pragmatique, 1979 – J.R. Searle, 1972 – D. Sperber, D. Wilson, 1989 – A. Berrendonner. Éléments de pragmatique linguistique, Minuit, 1981.

En substance, une description linguistique est pragmatique si elle ne réduit pas les énoncés à des constructions dotées d’un sens intrinsèque, mais envisage leur interprétation dans les types de situations où elles pourraient être employées. L’extension du domaine de la pragmalinguistique et les rapports complexes qu’elle entretient avec les autres composantes d’une grammaire apparaît à travers toute une série de phénomènes interprétatifs que l’analyse grammaticale ne saurait ignorer : actes de langage (XX : 3) accomplis directement ou indirectement par renonciation d’une phrase, expressions référentielles (XIX : 3), déterminants (VI : 2) et pronoms (VI : 5) dont l’interprétation dépend de la situation de communication ou du contexte linguistique (termes embrayeurs, XX : 2.1 et anaphoriques XXI : 3), sens des connecteurs argumentatifs (XXI : 4) qui permettent d’orienter l’interprétation du destinataire vers un certain type de conclusion, etc.

Les phénomènes qui manifestent ce type de régularité relèvent de la langue en action et de la langue en contexte. Leur prise en compte par la description grammaticale implique une double distinction entre phrase et énoncé et, par voie de conséquence, entre sens phrastique et signification énonciative (XVIII : 3.1 et 3.2). Une phrase donnée est une entité structurale abstraite que l’on peut caractériser par un ensemble de règles de bonne formation phonologique, morphologique et sémantique. Elle se réalise sous la forme concrète d’énoncés. Ainsi la suite ordonnée des trois mots comment, allez et vous constitue, en dehors de toute situation de communication ,et de tout contexte linguistique, une phrase (V : 1) : c’est-à-dire un assemblage grammaticalement bien formé, n’entrant pas dans une construction plus vaste et appartenant à un type déterminé (ici : interrogatif). Mais chaque fois que l’on prononce ou que l’on écrit la phrase : (l) Comment allez-vous ? une même structure lexico-syntaxique abstraite se réalise à travers autant d’énoncés particuliers : (l a), (l b),... (1 n).

Chacun de ces énoncés (identifié ici par un indice alphabétique) est unique et différent des autres, parce qu’il résulte d’un acte individuel, ditd’énonciation (XX : 1), effectué par un locuteur particulier engagé dans une situation de communication particulière. Ainsi non seulement la valeur référentielle du sujet de la phrase (l), c’est-à-dire l’identité du destinataire, varie d’un énoncé à l’autre, mais aussi ses objectifs communicatifs : selon la situation, (l) peut en effet être interprétée comme une formule purement phatique (à la suite, par exemple, de Bonjour !), une question de bonne foi (adressée par un médecin à son patient) ou un commentaire ironique (si le locuteur veut laisser entendre malicieusement qu’il sait que le destinataire ne va pas bien).

D’autre part, une phrase ne peut se concevoir que sous une forme normalisée, voire canonique (V : 2.1), qui n’est pas toujours reproduite intégralement par ses énoncés. Plutôt ou Pas trop, par exemple, s’interpréteront contextuellement comme des formes abrégées de phrases complètes (équivalant à Je suis plutôt fatigué ou de Je ne suis pas trop fatigué, en réponse à la question Es-tu fatigué ?). Ailleurs, c’est la situation de communication qui permet de faire l’économie de l’information normalement véhiculée par une partie de la phrase. C’est le cas du chirurgien en train d’opérer qui, pour demander un instrument, se contente habituellement d’en énoncer le nom (Bistouri = Passez-moi le bistouri).

Bibliographie. — S. Delesalle, 1974 – M.-N. Cary-Prieur, 1985, p. 45–56.

Le nouveau Petit Robert, dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, P., 1993

Évolution du lexique

à observer l’ensemble des entrées ajoutées dans cette nouvelle édition, on peut apercevoir assez clairement dans quelles directions évolue le lexique. Quelques pessimistes parlent du français comme d’une langue qui aurait perdu sa créativité et qui ne vivrait plus que d’emprunts à l’anglais : le Nouveau Petit Robert leur apportera la preuve du contraire et montrera que les néologismes, toujours aussi nombreux, sont en outre formés selon de nouveaux modèles ; l’époque actuelle invente d’autres procédures pour créer des mots.

Mots composés

Les mots savants sont traditionnellement formés avec des radicaux latins (octogénaire) ou grecs (stéthoscope), parfois hybrides (monocle) et autrefois critiqués par les puristes. Aujourd’hui on va plus loin : un très grand nombre de mots mêlent le grec ou le latin au français, et ce modèle est de plus en plus productif (stratosphère, agroalimentaire, écomusée, hydrocarbure, narcotrafiquant, cryoconservation, hélitreuiller, xénodevise ; voyoucratie, boulodrome, pochothèque, plombémie, profilographe, fraisiculteur avec ajout d’un o ou d’un i de liaison).

Parfois même, on compose de cette façon avec deux mots français (placoplâtre, alcalinoterreux, filoguidé, vagotonique, riziculture). Cette composition des mots reste « savante » dans la mesure où l’ordre des mots est inversé par rapport à la désignation ordinaire (placoplâtre : plâtre en plaques ; riziculture : culture du riz ; filoguidé : guidé par un fil). Nous pouvons donc maintenant, comme les anglophones, produire des composés courants de ce type tout en disposant du système sans inversion comme jupe-culotte, voiture-bar ou abribus. De plus, l’adjonction du o ou du i de liaison produit en fait un nouvel élément : placo-, filo-, rizi-, etc. Déjа, nous avons légitimé moto- de moteur (motocycle, mototracteur, etc.), toxico- de toxique (toxicomane), séro- de sérum (sérodiagnostic).

On voit comment, partie de règles très contraignantes, la composition des mots s’est libérée au profit de la néologie. Il n’est plus possible aujourd’hui de dire que la morphologie lexicale du français est une entrave à la créativité. Ce point de vue puriste est dépassé par les faits, et il faut accepter qu’une langue vivante change de normes.

Troncations

Les dernières décennies ont été marquées, pour le vocabulaire, par un écourtement des formes qui s’étend et s’accélère dans tous les registres de la langue, des mots irremplaçables comme cinéma (déjà ancien, cinématographe étant hors d’usage) aux mots courants de bonne compagnie, comme mélo, météo, écolo, et aux mots assez familiers comme appart (appartement), beaujo (beaujolais), intox (intoxication), impec (impeccable), mob (mobylette), maso (masochiste), stup (stupéfiant), etc. Toutes ces formes, parfois sibyllines, surtout pour les étrangers, ont été signalées dans le dictionnaire, et beaucoup figurent à la nomenclature où elles renvoient le lecteur au mot complet. Leur brièveté, en effet, est un avantage pour les locuteurs, mais comme la coupure survient quasiment n’importe où (prof pour professeur, pro pour professionnel ; écolo pour écologiste, proche de école), la restitution du mot complet est très aléatoire.

Une autre difficulté de « reconnaissance » du mot est due au double phénomène de troncation avec suffixation populaire, qui se manifeste dans de nombreux mots apparentés à l’argot : alcoolo (alcoolique), apéro (apéritif), dico (dictionnaire), dirlo (directeur), chômedu (chômage).

Enfin, on peut constater que le raccourcissement frappe aussi les éléments, tant par des décisions volontaires que par des confusions dans la coupe des mots : hélico- (hélicoptère) devient héli- (héliport), pétrolo- de pétrole devient pétro- (pétrochimie), toxico- (toxicomane) devient toxi- (toxi-infection), etc. De plus, de nombreux éléments prennent le sens du mot très connu dans lequel ils figurent : oxy- « pointu » a acquis le sens de « oxygène » (oxyhémoglobine), psycho- « âme », celui de « psychologie » (psycholinguistique), narco- « sommeil », celui de « narcotique, stupéfiant, drogue » (narcotrafiquant), etc. Tous ces mouvements profonds témoignent d’une grande vitalité du français.

Sigles

Une autre façon d’écourter est l’emploi des sigles. D’abord surtout réservés aux sociétés, institutions, partis et syndicats (B.H.V., B.N.P., S.D.N., U.D.F., C.G.T., etc.), ils représentaient des noms propres dans l’écriture. Leur usage s’est massivement répandu pour les noms communs (C.C.P., H.L.M., I.V.G., P.M.E., O.P.A.) et même les adjectifs (B.C.B.G). On les a de plus en plus employés à l’oral ; certains sont si courants que la forme complète correspondante est souvent ignorée (C.R.S. « agent des Compagnies républicaines de sécurité »). En outre, lorsque la suite de lettres est prononçable, les sigles se lisent, pour la plupart sans être épelés, comme des mots ordinaires et perdent leurs points, parfois aussi leurs capitales (ZUP, SICAV, DOM-TOM, écu, ovni, sida) ; ce système rétroagit sur l’écriture des sigles non prononçables (B.D., bande dessinée qui a donné bédé). Tous les cas sont susceptibles de produire des dérivés qui, n’étant jamais des noms propres, trouvent leur place dans le dictionnaire de langue (cégétiste, capésien, cébiste, bédéphile, énarque, sidéen, opéable, vépéciste). On voit que se développe un puissant système de création lexicale, marqué par la démotivation graphique, comme celle qui s’est produite en passant de nième à énième, avec la même prononciation. Le Petit Robert, qui répertorie ces mots et donne leur étymologie, garde heureusement la mémoire de leur curieuse formation.

Mots étrangers

Parmi les nouvelles entrées, il y a un nombre important de mots étrangers récemment implantés en français. L’anglicisme est quantitativement dominant, mais on observe un afflux d’emprunts à d’autres langues, notamment des mots italiens, arabes, espagnols, allemands, japonais et russes. L’internationalisation de l’information et les grands mouvements du tourisme, en rétrécissant le monde, rendent toutes les langues plus poreuses ; ces emprunts sont justifiés par la nécessité de désigner les choses qui viennent de loin et qui restaient ignorées. C’est un rapprochement entre les peuples et entre les langues car ces mots, généralement non assimilés, deviennent des mots universels (l’aquavit, le fugu, l’omerta, etc.).

Certains anglicismes, on le sait, sont plus contestables dans la mesure où ils ne sont pas nécessaires, et de loin. Le prestige des États-Unis, leur puissance économique et leur avance technoscientifique suscite un flot d’emprunts et ceci, même lorsque nous avons déjà le mot français qui convient. La situation est aggravée par la rapidité de l’information (les agences de presse et les traducteurs n’ont pas le temps de chercher un équivalent français). Par ailleurs, l’anglicisme qui était autrefois un snobisme des classes aisées exerce aujourd’hui une pression qui touche toutes les classes de la société, et largement les adolescents. Dans le domaine des terminologies, des commissions ministérielles se réunissent en France, des institutions ont été créées au Québec pour proposer des mots français en remplacement des anglicismes, et parfois l’entreprise est couronnée de succès (ordinateur pour computer). Nous avons signalé comme tels les anglicismes récents et indiqué le mot français correspondant proposé par les commissions, sans jamais faire apparaître à la nomenclature ce qui n’est pas attesté par l’usage. Comme on l’a déjà dit, la vocation du Nouveau Petit Robert, comme naguère celle de l’édition de 1967, n’est pas de légiférer, mais d’observer la langue en attirant l’attention sur ce qui fait problème. Il faut signaler aussi — et les commissions ne s’en préoccupent pas — que les emprunts récents à l’anglais ont fortement amplifié le phénomène de l’acronymie, ou formation d’un mot avec certaines syllabes extraites de plusieurs mots. Cette formation sauvage se manifeste par exemple dans contraception (angl. contra- + conception), navicert (angl. navigation certificate), brunch (angl. breakfast + lunch) ; en français nous avons créé progiciel (programme + logiciel), velcro (velours + crochet), héliport (hélicoptère + aéroport), tapuscrit (taper + manuscrit), volucompteur (volume + compteur) et bien d’autres. Là encore, l’avantage de la brièveté s’accompagne de l’impossibilité de l’analyse morphologique utile à la compréhension des mots. Néanmoins, la morphologie des composés savants n’étant plus maîtrisée que par des lettrés, cette façon de former librement des mots a un aspect ludique qui la rend très productive.

La dérivation française sur des mots anglais continue de se développer : après avoir inventé footing, tennisman, etc., nous avons créé relooker, révolvériser, glamoureux, footeux, flashant, débriefer. Camping-car est aussi un produit français inconnu des anglophones.

Verlan

De tout temps on a forgé des parlers subrogés qui permettent de déguiser les mots selon des règles instaurées pour des initiés. Nous avons eu le « javanais », le « loucherbem » (prononcé [luGebDm]), aujourd’hui le verlan, qui présente les mots à l’envers. Il n’est évidemment pas dans notre propos de décrire un tel système, qui par ailleurs est limité à un milieu restreint. Mais certains mots se sont répandus dans l’usage familier courant et ne pouvaient être raisonnablement rejetés. Nous avons donc traité les mots beur, meuf, ripou sur le même pied que certains mots familiers, sans nous alarmer de leur étymologie.

Graphies et prononciations

Les façons d’écrire et les façons de prononcer le français n’évoluent pas au même rythme. Si l’écriture change plus lentement, c’est qu’elle reste socialement valorisée par rapport à l’oral qui, aujourd’hui encore, est considéré comme une expression libre, familière et sans conséquence (alors que c’est la langue orale qui fonde l’objet d’étude de la linguistique). L’écrit laisse par essence une trace et constitue le lieu de la norme et de la stabilité. Cette pesanteur de l’écrit constitue parfois une gêne, comme lorsque la prononciation s’éloigne trop de l’écriture ; mais elle constitue aussi un frein pour la langue parlée qui est massivement déviante et inventive. De plus, c’est le français écrit qui garde le passé en mémoire et assure la continuité du système. Si doigt s’écrivait doi, la relation formelle avec digital serait perdue. Néanmoins il ne faudrait pas croire que l’écrit est un système régulier dans son ensemble. Il a subi des réformes autoritaires (justement l’ajout de gt au XVIe s.) et il lui est arrivé maints accidents qu’on appelle pudiquement « exceptions ».

Nous n’avons pas entériné les « Rectifications de l’orthographe », rapport présenté par le Conseil supérieur de la langue française et publié le 6 décembre 1990 au Journal officiel ; nous nous sommes expliqués sur ce sujet dans une brochure publiée en 1991. Néanmoins le Nouveau Petit Robert est très attentif aux évolutions des graphies, qui souvent tendent naturellement à plus de simplicité. On peut observer la soudure des éléments préfixés (le trait d’union était malvenu puisqu’il ne joignait pas deux mots) ; ainsi cérébro-spinal devient cérébrospinal ; hydro-électrique, hydroélectrique. La soudure intervient aussi pour les mots composés comme plate-forme, que l’on écrit plateforme. Il arrive que pour certains mots récemment empruntés, plusieurs graphies soient d’abord attestées (jusqu’à sept pour casher dans viande casher). Mais le temps les sélectionne et la forme se stabilise, généralement au profit de l’assimilation.

Les emprunts anglais offrent de nombreux noms en -er prononcés tantôt comme dans revolver, tantôt comme dans freezer, tantôt des deux façons (scooter, etc.). La tendance actuelle est de franciser le suffixe -er en -eur (bluffeur, crawleur, kidnappeur, mixeur), et ceci d’autant plus lorsqu’il existe déjà un verbe en -er (bluffer, kidnapper, etc.) ; ces emprunts s’alignent alors sur le système français danse, danser, danseur : bluff, bluffer, bluffeur.

On observe aussi une francisation des pluriels des mots étrangers au fur et à mesure que l’emprunt est plus usité : des supermans, des sandwichs, des whiskys, des minimums, des adagios, des tatamis. Et pour les langues qui prennent un s prononcé au pluriel, la tendance progresse vers le s muet du français : des paellas, des chorizos, des goldens.

On peut remarquer aussi qu’avec le temps, la prononciation traditionnelle et irrégulière de certains mots (dompteur, magnat, arguer, homuncule, etc.) est plus ou moins abandonnée au profit de la règle générale (comme dans somptueux, magnifique, narguer, homoncule) ; cependant compter, comme tous les mots très fréquents, ne peut guère changer, pas plus que femme ou monsieur. Mais on oublie souvent que chaque moment s’inscrit dans une évolution globale de la prononciation dont les causes sont difficiles à démêler. Or les 26 années entre 1967 et 1993 constituent déjà une période historique où les évolutions phonétiques sont sensibles : regain du e caduc prononcé, neutralisation des a et aussi des é, des o dans certaines positions, disparition de nombreuses géminées. La comparaison des notations phonétiques de 1967 et de 1993 dans le Petit Robert est très instructive à cet égard. Et déjà deviennent perceptibles une nouvelle articulation des mots, un déplacement des liaisons et une montée terminale de l’accent de phrase destinée à stimuler l’attention. Ces tendances donnent parfois lieu à de pénibles excès, notamment dans le discours des médias, mais le bon goût reprend généralement ses droits. Il faut aussi admettre, à l’encontre des puristes, que ce discours est, pour beaucoup d’auditeurs, moins fautif et plus riche que ceux qu’ils peuvent entendre dans leur vie quotidienne.

Le sens des mots

Le projet fondamental d’un dictionnaire de langue est le recensement et l’analyse des significations ; il n’existe aucun ouvrage spécial qui assume cette fonction, alors que tous les autres aspects du lexique peuvent faire l’objet d’un dictionnaire (de prononciation, d’orthographe, d’étymologie, d’analogies, de synonymes, etc.). C’est pourquoi la vérification d’un sens passe si souvent par le recours aux dictionnaires les plus connus, comme en témoignent les innombrables citations de nos définitions dans la presse et les écrits didactiques. C’est pourquoi aussi les recherches sur le sens, sémantique linguistique ou informatique " cognitive ", s’appuient sur le dictionnaire de langue comme corpus ou base de données. Le dictionnaire de langue est la mémoire lexicale d’une société, et c’est le lexique qui est porteur de la quasi-totalité des significations qu’aucun de nous ne peut mémoriser. Même et peut-être surtout les écrivains qui ont de plus grands besoins d’expression recourent constamment au dictionnaire.

LA CIRCULATION DU SENS

Quand on parle de sens, on pense généralement aux définitions des mots, telles qu’on peut les trouver dans un dictionnaire encyclopédique. Mais un véritable dictionnaire de langue comme le Nouveau Petit Robert ou le Grand Robert va beaucoup plus loin en décrivant toutes les manifestations du sens et sa circulation dans le lexique. La nomenclature d’un dictionnaire ne doit pas nous abuser : c’est une liste d’unités formelles qui permet, en fait, d’accéder au fin réseau des significations que l’article tout entier va tenter de mettre au jour. Les définitions multiples s’organisent en arborisation ; d’autres glosent les groupes de mots (sous-entrées) et les locutions ; les définitions sont elles-mêmes balisées par des synonymes et clarifiées par des contraires. Les expressions renvoient elles aussi а des mots qui sont leurs synonymes, appelés analogies (fonction onomasiologique) ; synonymes et analogies développent un champ de significations. Enfin, l’emploi du mot en contexte, dans des exemples forgés ou des citations signées, montre la signification en action, avec ses connotations. Cette richesse d’information permet de comprendre le mot dans toutes ses nuances (fonction de décodage) et de l’employer dans le contexte et la situation qui conviennent (fonction d’encodage). L’actualisation du Nouveau Petit Robert porte sur tous ces aspects. Un important travail sur les synonymes et les analogies montre comment le sens s’est déplacé dans l’expression de nouveaux thèmes et de nouvelles valeurs propres à notre époque (à cet égard, on peut comparer, par exemple, les articles de 1967 et 1993 pour pauvre, calme, fécondation, aliment, allumer, préserver, sans même citer les mots spécialement créés pour désigner des réalités nouvelles).

L’exemple et la citation

L’exemple est une phrase ou une partie de phrase où figure l’entrée, qui est produite par le lexicographe (exemple forgé) ou empruntée а un auteur, avec mention de son nom, et dans les gros ouvrages comme le Grand Robert, avec la référence complète du texte (citation). Les deux types de textes présentent des fonctions communes : montrer le mot en action, sa place dans la phrase, sa morphologie (formes conjuguées de verbes, formes au féminin et au pluriel), montrer que le sens du mot est bien compatible avec la définition - mais sans plus, aucun exemple ne pouvant manifester tout et seulement ce que la définition exprime. L’exemple et la citation apportent des éléments de preuve en montrant ce qu’a dit par ailleurs le lexicographe. Certaines citations appelées citations-attestations sont même simplement destinées а rassurer le lecteur sur l’existence effective d’un néologisme ou d’un emploi récent. Le Nouveau Petit Robert présente de nombreuses citations de journaux qui ne sont que des attestations, la presse " allant plus vite " que la littérature dans l’emploi spontané des mots et des sens nouveaux.

Néanmoins, l’exemple produit et la citation sont fondamentalement différents dans leur signification globale, leur contenu. L’exemple du lexicographe, qui est traditionnellement appelé exemple forgé, est en effet " forgé pour la circonstance " ; mais l’adjectif forgé fait songer а tort а " forgé de toutes pièces ", avec le sens péjoratif de " sans existence réelle ". Or, les exemples du lexicographe sont au contraire des énoncés tout prêts qui sont inscrits dans sa mémoire, ce sont les phrases qu’il a lues ou entendues le plus fréquemment. Et cette grande fréquence sélectionne l’emploi le plus attendu du mot, un lieu commun dans un sens non péjoratif, aujourd’hui nommé stéréotype. L’ensemble des exemples d’un dictionnaire n’est autre que ce qui se dit le plus souvent а une époque donnée dans une langue donnée. La somme de ces exemples et notamment la phraséologie fixe pour nous et notre postérité un état présent de la société, de ses préoccupations et de ses valeurs. Il n’y a donc rien de forgé dans un bon exemple, alors qualifié de " naturel ", bien au contraire. Quant а la circonstance de sa production elle n’est guère plus artificielle que celle du contexte littéraire de fiction pour l’écrivain.

La citation d’auteur, pour sa part, ne se donne pas comme lieu commun : le texte émane d’une seule personne qui, en général, ne prend pas la plume dans l’intention d’écrire ce que tout le monde sait déjà. La citation littéraire manifeste un contenu intéressant dans une forme personnelle qui le met en valeur ; la seule limite а l’incongruité d’une citation, c’est le choix raisonnable du lexicographe (la poésie moderne notamment ne peut servir а l’éclaircissement des significations). Ainsi la citation littéraire est complémentaire de l’exemple forgé, elle se présente comme un modèle supérieur d’expression et une référence culturelle, mais aussi comme un ancrage dans le particulier et un surgissement de l’individu sur fond de stéréotypes sociaux. Le texte littéraire est le plus apte а manifester " l’expérience des limites ", comme dans cet exemple de Jean Genet pour l’adjectif habitable : " Quand j’étais misérable, marchant dans la pluie et le vent, la plus petite anfractuosité, le moindre abri devenait habitable ". Cette édition bénéficie de l’apport des meilleurs écrivains actuels : Duras, Tournier, Modiano, Cioran, Grainville, Pennac, Quignard, Sollers, Simenon, Yourcenar, Godbout, Kateb Yacine, Hampaté Bâ et bien d’autres.

Tous les dictionnaires de langue sont établis а partir d’un corpus de citations : fichiers manuels d’autrefois, puis mécanographie, puis base de données informatisées. Mais c’est le lexicographe qui, en amont, décide de la composition du corpus et en aval du choix des textes qui conviennent а son projet d’illustrer les mots. La part d’inattendu que le corpus impose au lexicographe est surtout de nature néologique (mots, sens nouveaux, constructions nouvelles).

Locutions et allusions

Le dernier quart de ce siècle semble caractérisé, pour le français, par le foisonnement de nouvelles locutions, familières ou non : renvoyer l’ascenseur, remettre les pendules а l’heure, ne pas faire dans la dentelle, jouer dans la cour des grands, revoir sa copie, vouloir le beurre et l’argent du beurre, avoir plusieurs casquettes, se faire une toile, bronzer idiot, donner des boutons ; cas de figure, alibi en béton ; а deux vitesses, а fond la caisse, а l’aise Blaise, etc., et aussi des locutions-phrases On se calme ! Ça fait fort ! La balle est dans son camp. C’est la faute а pas de chance, etc. Le Nouveau Petit Robert en signale un très grand nombre soigneusement distribuées dans les articles а l’endroit convenable pour le sens, répétées pour chaque mot de la locution mais traitées une seule fois.

Mais l’unité la plus originale de l’époque est l’allusion, expression ou phrase empruntée а une personne connue sans la citer nommément (cryptocitation). Alors que la locution est proche du mot, l’allusion est proche de la citation. Autrefois, l’allusion était surtout chose personnelle, et renvoyait а la littérature ; lorsque Stendhal écrit " M. Villeraye, se promenant au jardin avec madame de Nintray ... lui tint а peu près ce langage ", chacun reconnaît La Fontaine. Aujourd’hui l’allusion s’est socialisée et renvoie au discours politique (les "petites phrases" et les slogans comme " Touche pas а mon pote ", Harlem Désir) aussi bien qu’aux dialogues de films (" Majesté, votre sire est trop bonne ", François Ier), aux chansons à la mode et aux numéros des grands comiques et humoristes (" C’est étudié pour ", Fernand Raynaud). Cette complicité entre les personnes qui s’établit par l’allusion lui confère le statut de stéréotype, et c’est pourquoi nous lui avons réservé une place dans le Nouveau Petit Robert.

D’autre part, nous avons souvent cité des titres d’œuvres surtout de littérature et de musique, titres français ou traduits d’une autre langue : La Bête humaine de Zola, La Femme et le Pantin de Pierre Louяs, Par-delà le bien et le mal de Nietzsche, La Symphonie pastorale de Beethoven, La Veuve joyeuse, opérette de Franz Lehár. La présence de ces titres-exemples (que la toute récente 9e édition de l’Académie utilise aussi) répond а plusieurs fonctions. La plus importante est évidemment l’allusion culturelle, avec ses connotations, qui peut être réutilisée en situation. Mais le titre peut servir d’exemple pour illustrer un mot rare ou ancien parce qu’il s’impose avant tout autre exemple (Les Trois Mousquetaires de Dumas, Terraqué de Guillevic). Inversement des titres très connus mais dont le sens n’est pas clair sont cités pour l’explicitation du titre, alors traité comme une locution (La Peau de chagrin, Les Hauts de Hurlevent, L’Essai sur les données immédiates de la conscience, La Ballade des pendus).

Ainsi, ce Petit Robert 1993 est doublement nouveau. Nécessairement, parce que le français évolue en lui-même et dans ses usages ; délibérément, car le point de vue que nous prenons sur notre langue s’est enrichi : connaissances nouvelles, enjeux et combats (la pression accrue de l’anglais américain, les nouveaux équilibres langagiers en Europe, au Maghreb...), sensibilité linguistique en constant mouvement. Ces facteurs justifiaient largement un investissement très important, en travail intellectuel, en technique informatique, en repérage et en analyse des évolutions contemporaines du lexique, en expertise non seulement linguistique et littéraire, mais aussi scientifique, technologique, juridique, économique. Ceci explique le nombre important de collaborateurs réunis pendant cinq ans pour cette édition, auxquels nous tenons а rendre un hommage а la mesure de leur compétence et de leur travail remarquables. Modifié, enrichi, parfois abrégé, rarement élagué, le texte entier du Petit Robert a été revu — y compris les parties qui, jugées aujourd’hui encore pertinentes, n’ont pas été touchées. C’est une description plus riche, plus claire encore, plus homogène, que l’on présente au lecteur, sans rupture cependant avec le passé, car le Petit Robert est et doit rester l’héritier d’une tradition où l’Académie française depuis 1694, Furetière, Littré, Pierre Larousse, le Dictionnaire général ont défini les règles du jeu. Au XXe siècle, la tradition du dictionnaire de langue, un moment négligée en France, a été remise en honneur par Paul Robert. Son œuvre, poursuivie par ceux qui furent ses principaux collaborateurs, occupe une place notable dans l’histoire des dictionnaires. L’évolution du français, celle des connaissances sur la langue, celle du monde où vit une communauté francophone variée mais unie par son langage, nécessitent une évolution rapide des dictionnaires, soutenue par les récents progrès techniques : le Nouveau Petit Robert, sans rompre avec le passé du genre, témoigne de son état le plus actuel. La lexicographie de langue française forme une longue chaîne de savoirs а la fois érudits et artisanaux, où s’affirment parfois le génie de la langue française et la richesse spécifique des cultures qu’elle exprime. S’inscrire dans cette tradition suppose une innovation continue et une durable passion impliquant une foi solide dans l’avenir du français. Nous espérons en avoir témoigné dans ce livre.

Josette REY-DEBOVE et Alain REY

Arrivé M., Gadet F., Galmiche M., La grammaire, d’aujourd’hui : guide alphabétique de linguistique française, Paris, Flammarion, 1992

Français

Le français est l’une des langues romanes (voir latin). Le français est actuellement parlé, à titre de langue maternelle ou de langue seconde utilisée quotidiennement, par près de 80 millions de personnes. Compte tenu de la difficulté de ce type de dénombrement, le français se situe à peu près au dixième rang des langues parlées dans le monde, après le mandarin, l’anglais, l’espagnol, le portugais, le russe, le japonais, l’allemand, à peu près à égalité avec l’arabe, le bengali, l’hindi et l’italien.

Le français a longtemps eu le statut de langue internationale. Il l’a progressivement perdu au profit de l’anglais depuis le début du XXe siècle.

En France, le français est pratiqué par la quasi-totalité des habitants, à la réserve des immigrés récents. Cependant, il existe sur le territoire national un certain nombre de parlers pratiqués par un nombre non négligeable d’usagers, dont la grande majorité ont par ailleurs une bonne connaissance du français. Il convient, parmi eux, de distinguer les parlers non romans et les parlers romans.

1.Parlers non romans

a) l’alsacien : dialecte germanique proche des parlers de la Suisse alémanique, l’alsacien est pratiqué, parfois exclusivement, par plus d’un million de personnes ;

b) le breton : langue celtique diversifiée en quatre dialectes, le breton est pratiqué — très rarement à titre exclusif — par près d’un million de sujets ;

c) le flamand : sensiblement différent des formes de la langue parlée en Hollande et en Belgique, le flamand est utilisé par environ 150 000 personnes ;

d) le basque : langue non indo-européenne qui s’étend également de l’autre côté de la frontière espagnole, le basque est parlé en France par moins de 100 000 personnes.

Parlers romans

Il convient de les répartir dans les classes suivantes :

a) parlers d’oïl : oïl est l’ancienne forme du mot oui, commune aux états anciens de ces parlers. Depuis le début du xxe siècle, ces parlers, autrefois nettement distincts du français standard, sont, à des degrés divers, en voie de disparition. Il est cependant encore possible, même dans la zone centrale, d’en repérer les traces et d’établir, pour chaque région, un Atlas linguistique et ethnographique.

b) parlers d’oc : oc est l’équivalent de oui dans ces parlers, séparés des dialectes d’oïl par la ligne figurée sur la carte de la page 272. Également recensés par les Atlas linguistiques, ces parlers sont, notamment par leur système phonologique, plus éloignés du français standard que ne le sont les parlers d’oïl. Ils résistent mieux que ceux-ci à la francisation, et l’on évalue généralement à 7

 

ou 8 millions le nombre des personnes qui les pratiquent, activement ou passivement, mais presque jamais à titre exclusif.

c) le catalan : langue romane également pratiquée en Espagne, le catalan est utilisé en France par environ 150 000 personnes.

d) le corse : assez nettement diversifié en dialectes, le corse est utilisé, rarement à titre exclusif, par près de 200 000 personnes. Les parlers corses sont proches des dialectes italiens de Toscane.

En dehors des frontières nationales, le français est parlé dans les pays suivants :

— Le français est, avec l’allemand, l’italien et le romanche, l’une des quatre langues nationales de la Confédération helvétique. Il y est parlé par environ 2 millions de personnes ;

— En Belgique, le français est la langue maternelle d’environ 4 millions de sujets parlants. Une bonne partie des 370 000 Luxembourgeois ont une connaissance au moins passive du français ;

— Le Canada est une nation bilingue. Le français y est la langue maternelle de plus de 6 millions de Canadiens ;

— De façon plus ou moins résiduelle, le français est parlé dans le Val d’Aoste, dans les îles Anglo-Normandes et en Louisiane ;

— Le français est la langue officielle de la république d’Haïti, dont la plupart des 5 millions d’habitants ont le créole pour langue maternelle. À l’île Maurice, le français est en concurrence non seulement avec le créole local, mais aussi avec l’anglais ;

— En Martinique, Guadeloupe, Guyane, Polynésie française, à la Réunion et en Nouvelle-Calédonie, le français, langue de l’administration et de l’enseignement, n’élimine pas la pratique quotidienne des créoles locaux ou des langues locales ;

— Le français est la langue officielle d’un certain nombre d’États africains, anciennes colonies françaises. Mais la pratique quotidienne du français y est très variable, et souvent réduite ;

— Enfin, dans la plupart des pays étrangers, le français, autrefois appris comme langue seconde de préférence à toute autre, a laissé progressivement la place à l’anglais à peu près partout, à l’espagnol dans les pays anglophones (notamment aux U.S.A.), parfois à l’allemand, au russe et au japonais (notamment en Chine).

Registres de langue

L’hypothèse de l’existence de registres de langue est une abstraction par laquelle les dictionnaires et les grammaires cherchent à rendre compte du continuum de la variation, à la fois stylistique et sociale (voir sociolinguistique).

En termes de norme*, il s’agit de traduire le fait que certains usages sont recommandés, d’autres neutres, et d’autres enfin condamnés par la communauté linguistique. Ce point de vue conduit à traiter les registres en termes d’écart par rapport à un code.

En termes de situation, il s’agit de montrer que les différentes « manières de parler » sont plus ou moins adaptées à une situation : on ne parle pas de la même manière en faisant une conférence ou en discutant avec un ami. Ce second point de vue conduirait donc à définir le français standard en liaison avec une série de situations et de genres, et non à le représenter comme un absolu stable.

En analysant la langue comme un système régulièrement différencié, comme lieu structuré d’homogénéité, on constate que la reconnaissance des registres, conjointement disponibles pour tous les membres adultes de la communauté, est partie intégrante de la maîtrise de sa langue maternelle* par un locuteur. Il peut être incapable de produire un énoncé dans un registre qui ne lui est pas habituel, tout en étant apte à le comprendre et à lui attribuer la signification sociale qui lui est attachée. La variation s’accompagne donc toujours de jugements, une forme jouissant du prestige ou souffrant du discrédit qui s’attachent aux groupes qui les emploient ou aux situations qui les appellent. C’est ce que le rejet fréquent du terme équivalent « niveau de langue », généralement écarté pour ses connotations hiérarchiques implicites, semble oublier trop rapidement : niveau ou registre, la valorisation existe, parce qu’elle existe dans la communauté.

L’opération de désignation des registres part de l’hypothèse selon laquelle il y a homogénéité dans l’emploi, ce qui est à peu près vrai sur le plan lexical, quand il s’agit de caractériser un mot. Ainsi, un dictionnaire* distinguera la plupart du temps les niveaux : « vieux », « classique », « littéraire », « poétique », « familier », « populaire » et « trivial », éventuellement « soutenu », « vulgaire » et « argotique ». Mais si l’on cherche à caractériser les registres non plus au plan de l’usage, mais au niveau du contenu linguistique, et qu’on les définisse comme l’emploi conjoint de constructions syntaxiques particulières, d’éléments lexicaux et de faits de prononciation et d’intonation particuliers, il semble alors difficile d’en isoler plus de trois ou quatre : populaire, familier (mais correct), courant ou moyen, et soigné (soutenu, éventuellement littéraire), tout en tenant compte de la différence (qui ne les recouvre pas) entre oral et écrit. Il semble alors difficile de les caractériser autrement que par différence et par tendances.

Le plan phonétique est le plus révélateur, parce qu’il est le moins accessible à l’intervention consciente du locuteur. On y trouve, en passant du niveau populaire au niveau soigné, une augmentation des traits suivants :

— nombre de liaisons* : très peu de liaisons sont réalisées dans le registre populaire et familier ; liaison des mots peu accentués aux mots accentués en conversation soignée ; liaison même entre mots accentués en style oratoire ;

— résistance à la neutralisation* des voyelles inaccentuées ;

— refus des harmonisations vocaliques (prononciation [RediR] ou [RDdiR] ;

— nombre des [B]muets (compte tenu, naturellement, des amuïssements obligatoires ou interdits) ;

— refus des assimilations (prononciation [isRaDl] ou [izRaDl]) ;

— degré de tension articulatoire (plus ou moins grande netteté des timbres et des articulations) ;

— tendance à la relative égalité syllabique ;

— refus des régionalismes ;

— maintien des groupes consonantiques.

Dans les registres populaire et familier, on trouvera des combinaisons comme [pisk] (puisque), [kekGoz] (quelque chose), [idi] (il dit), [suRtu] (surtout), [Fjedi] (je lui ai dit), [kattab] (quatre tables)... Les registres familier et courant sont à mi-chemin entre tendances conservatrice et transformatrice. Ainsi, il y a des raisons pour qu’un mot comme essayer se prononce [esDje] (tendance conservatrice) : le rapport à essai, et la pression de la graphie. Mais il y en a aussi pour qu’il se prononce [eseje] (tendance transformatrice) : la position syllabique du [e], et l’influence dilatrice du [e] final.

Les registres s’opposent aussi par la mélodie, les pauses et les hésitations ; pour celles-ci, c’est plutôt leur nature que leur fréquence qui est pertinente : il relèverait d’une conception simpliste de l’oral de supposer qu’un oral soutenu (sauf lecture orale) en serait exempt : des mots d’appui comme euh, bien, donc, bon... se trouvent à tous les registres. Par contre, la fréquence des changements intonatifs, due surtout aux accents d’insistance, est, quant à elle, caractéristique du registre familier.

La possibilité de variation est liée au caractère facultatif d’un élément. Aussi le plan lexical permet-il facilement la distinction des registres, avec des « synonymes » comme par exemple soufflet (littéraire), gifle (courant), claque (familier), baffe ou torgniole (populaire), encore qu’il n’y ait pas toujours une telle richesse d’équivalents. Mais il n’en est pas de même au plan syntaxique, où la notion de choix se fait plus restreinte. Tout au plus peut-on indiquer quelques phénomènes : l’existence de formes propres à l’usage populaire (par exemple, la relative de français populaire, comme l’homme que je te parle, ou certaines interrogations comme quand c’est ti qu’i vient ?) ;la plus ou moins grande fréquence d’emploi de formes, comme les constructions segmentées (moi, ma mère, la télé, elle aime pas).

La caractérisation de la variation en termes de registres appelle plusieurs commentaires :

— rien n’est jamais désigné comme normal ou comme standard : on ne dit que l’écart.

— les désignations retenues visent des phénomènes de nature différente : par exemple, « populaire » désigne une classe sociale, et « familier » une situation. De même pour le rapport entre variété sociale et variété régionale : ce qu’on appelle français populaire n’est pas parlé par le peuple partout en France, c’est une variété originellement liée à la région de Paris et de l’île-de-France, ayant donc son origine géographiquement commune avec le français standard.

— il y a souvent désaccord, dans les caractérisations d’un mot, d’un dictionnaire à l’autre, et encore plus d’un locuteur à l’autre.

Le clivage entre les registres peut être d’ordre exclusivement lexical (par exemple entre langue courante et argot*), ou complet, (entre français populaire et français cultivé). On peut donc donner un statut particulier aux « langues spéciales », et principalement à l’argot.

La difficulté qu’il y a à cerner et à décrire les différents registres et à les homogénéiser justifie le choix grammatical fondamental de ne décrire que la seule langue standard.

Delbecque N. (éd.), Linguistique cognitive : comprendre comment fonctionne le langage, Bruxelles, De Boeck, Duculot, 2002

La classification et l’étude comparée des langues

Dans le chapitre 6 portant sur la sémantique interculturelle, nous avons étudié certaines similitudes et divergences dans les lexiques, grammaires et scripts culturels de diverses communautés linguistiques. Dans le présent chapitre, nous examinerons les classifications qui peuvent être faites des langues selon différents types de critères : le point de vue adopté peut être sociologique, génétique, typologique ou contrastif. Dans un premier temps, les langues peuvent être classées sur base de critères sociologiques externes à celles-ci, tels que leur statut et importance dans le monde. Ce genre d’étude comparée va de pair avec la question de savoir quelles sont l’origine et l’évolution des langues. D’autre part, il est également possible de les comparer à partir de caractéristiques structurelles internes aux langues. Bon nombre de langues sont génétiquement apparentées les unes aux autres ; elles forment des familles de langues. Néanmoins, des langues sans lien génétique peuvent également être regroupées à partir de certaines caractéristiques structurelles. La recherche typologique utilise comme critères les caractéristiques structurelles saillantes d’une langue – l’ordre des mots par exemple – dans le but de procéder à des regroupements typologiques entre les langues. À la question de savoir s’il existe des éléments universaux – tels les "primitifs sémantiques universaux" du chapitre 6 –, la réponse est positive, sur base de la théorie du prototype. Il est également possible de comparer de façon détaillée les caractéristiques structurelles ou "champs conceptuels" de deux langues. Ceci est le domaine de la linguistique comparée. Plus orientée vers la pratique, elle met l’analyse de la structure et du fonctionnement des langues au service de l’apprentissage des langues, de la traduction et de la confection de dictionnaires bilingues.


Дата добавления: 2019-09-13; просмотров: 224; Мы поможем в написании вашей работы!

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